je lutte des classes

Publié le par Thierry Raby

Je lutte des classes 
J'empreinte volontiers ce slogan pour le faire mien.
Je suis le produit de deux familles de la petite bourgeoisie rurale. Jusqu'à sept ans j'ai grandi sans me sentir appartenir à une classe sociale. Je vivais dans un modeste appartement et ne percevais pas de décalages avec nos voisins ou mes premiers camarades.
Nous avons ensuite emménagé à un kilomètre de là, dans la grande maison familiale, affublée de tous les attributs nécessaires pour paraître bourgeoise. J'y ai vécu quatre ans de solitude, à peupler chaque recoin du domaine, de mes jeux et mes rêves.
Avant de quitter les lieux pour une autre vie, j'ai pour la première fois invité mon meilleur copain d'école, à passer un après-midi à la maison. J'avais plaisir à lui faire découvrir mon territoire et partager ainsi un peu de mon intimité .
Mais lui demeura dans une retenue inhabituelle et parut même gêné par instants. Je compris vite que le monde que je lui présentais n'était pas le sien et surtout qu'il ne lui était pas accessible. Que ces attributs riches et variés aux usages pour lui inconnus l'excluaient, lui fils de maçon au quotidien de famille nombreuse. Pour venir, il avait mis ses habits les plus neufs et de la 
Gomina sur ses cheveux mais il se sentait toujours 
différent, comme étranger.   
Son malaise me gagna et je me sentis à mon tour honteux de ne pas être comme lui, de ce que je montrais de moi, ces artifices de grandeur que je peinais à habiter.
Avant qu'il ne parte, ma mère nous a pris en photo sur le perron. Nous nous tenons solennellement par l'épaule et sourions, perdus dans le décor de notre rencontre impossible.
Bien sûr, il me fallut quelque temps pour mieux comprendre ce souvenir, mais cette expérience a probablement initié en moi une conscience de classe et fait éprouver l'évidence d'une pensée de gauche. 
A partir de ce jour, je me suis méfié de tous ces signes ostensibles de réussite sociale et des codes de savoir vivre propres à la bourgeoisie. Je constatais que leur 
premier effet était l'exclusion méprisante de celui qui en est privé, et ce quelle qu'en puisse être la raison. 
Dèslors je n'ai pu accepter cette forme d'injustice et me suis senti solidaire des exclus.
Les classes sont comme des castes, des instruments d' enfermement d'individus à la place qui leur est assignée par ceux qui détiennent par la propriété, le pouvoir. Chaque sous-catégorie a ses prérogatives et entend bien les conserver pour rester au dessus d'une autre sur l'échelle sociale. Ainsi l'organisation du monde en classes hiérarchisées est verrouillée, les dominants peuvent se constituer en familles et confisquer sans scrupule le bien commun. Les conservatismes et la bien-pensance finissent par étouffer les dernières vélléités de changement
et reléguer toute opposition au bulletin de vote,  et toute espérance à l'attente d'un jour nouveau. 
Le slogan "je lutte des classes" vient nommer et légitimer ma propre attitude, facilement critique et combative face aux différents marqueurs d'exclusion et de domination.
Dire "je lutte des classes" c'est m'autoriser sans mauvaise conscience à questionner au quotidien nos comportements sociaux et leurs effets sur l'autre, sur le monde. 
Je lutte des classes non par espoir de changer quelque chose, mais parce que je ne saurais faire autrement.
                                                                    TR
 
 

Publié dans mon avis sur ma vie

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